L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte le 2 avril 2024. Elle était née en 1934 dans une famille de la bourgeoisie guadeloupéenne qui a élevé ses enfants dans l’amour de la culture française et l’ignorance de leur ascendance africaine. Elle découvre l’esclavage et la colonisation alors qu’elle est en classe préparatoire à Paris. Elle refusait les carcans identitaires et les étiquettes, en désaccord avec la créolité mais pour la liberté de création des auteurs antillais. Elle ne se considérait pas comme une romancière francophone, elle écrivait en « Maryse Condé ». En cela elle me fait penser à Mohamed Kacimi.
Les murailles de terre. A la fin du 18° siècle, Ségou (Mali actuel) est un royaume puissant le long du fleuve Joliba (Niger). C’est là que vit Dousika Traoré avec ses épouses, concubines et esclaves, ses fils. Conseiller du Mansa (le roi), Dousika est victime d’une cabale et disgracié au moment où son fils aîné se convertit à l’islam. Les Bambaras sont en effet des animistes et pratiquent traditionnellement une religion où l’on se méfie en permanence des esprits malfaisants. Ces derniers rodent principalement la nuit, moment de toutes les terreurs. On a affaire à des forgerons-féticheurs pour les empêcher de nuire, interpréter les signes de l’invisible et du visible et tenter de prévenir les événements défavorables.
Ce roman se déroule dans la période où l’islam s’impose peu à peu en Afrique de l’ouest et le lecteur suit les étapes de cette conquête, souvent très violente. L’autrice envoie les quatre fils de Dousika dans tout l’ouest de l’Afrique, du Maroc au golfe de Guinée et même au-delà, ce qui lui permet de présenter une grande fresque de l’histoire de ces régions entre 1797 et le milieu du 19° siècle.
Convertit à l’islam à l’adolescence, Tiékoro, devenu Oumar, part étudier à Tombouctou où il est maltraité car les Bambaras y ont la réputation d’être des musulmans mal dégrossis, encore imprégnés de superstitions animistes. Ce néo-musulman se sent donc obligé d’en rajouter dans ses démonstrations de foi. C’est un personnage rigide et facilement pontifiant qui agace vite son entourage -à part sa mère.
Capturé par des esclavagistes lors d’une chasse, Naba est déporté au Brésil. J’ai trouvé fort intéressant l’aperçu sur la culture que les esclaves ont développée dans ce pays. Convertie au christianisme, affranchie, Ayodélé, la femme de Naba, est revenue en Afrique où elle s’est installée au Nigéria dans une petite communauté d’anciens esclaves christianisés.
Devenu commerçant à Fès, Siga en a ramené à Ségou les techniques du travail du cuir inconnues dans sa ville natale. Il espérait y faire fortune grâce à ce nouveau savoir mais a dû déchanter.
Le cadet Malobali s’est fait soldat au service du royaume ashanti pour quitter une famille où il ne se sentait pas suffisamment considéré.
Car Ségou est aussi la critique d’une société patriarcale qui opprime les femmes, bien sûr, mais aussi les enfants et les cadets. La naissance du premier fils est une occasion de liesse. Les garçons sont gâtés, habitués à ce que les femmes fassent leurs quatre volontés. Cela donne des adultes impulsifs qui agissent avant de réfléchir et qui ne supportent pas la frustration. Les personnages masculins ne me sont pas sympathiques. Leurs rapports avec les femmes oscillent entre la prédation et l’idéalisation. Prédation quand il s’agit de femmes socialement inférieures (servantes, esclaves) ou d’étrangères ; idéalisation de l’amour pour celles qu’on peut épouser. Les déconvenues sont brutales et rapides.
J’ai apprécié la lecture de ce roman bien documenté sur un espace et une période que je connais peu. Je lirai prochainement le tome 2.
L’avis d’Henri.
Luocine le 25 avril :
je lirai volontiers ce roman qui est dans toutes les bibliothèques je suppose.
Réponse :
Pas dans la mienne où, de toute façon, tous les romans de l’autrice étaient sortis suite à sa mort.
Ingannmic le 25 avril 2024 :
Sans doute le grand roman de Maryse Condé, mais que je n’ai jamais lu, retenue jusqu’à présent par son épaisseur…
Réponse :
475 pages pour le tome 1 dans mon édition mais qui se lisent sans difficulté.
Je lis je blogue le 26 avril 2024 :
Quelle femme ! Il faudrait que je la lise mais j’ai déjà tellement de lectures en attente.
Réponse :
C’est un vrai dilemme.