
Quand il travaillait sur Retour à Lemberg, Philippe Sands a fait la connaissance de Horst Wächter, fils de Otto von Wächter, et il a commencé à enquêter sur ce dernier. Autrichien, Otto von Wächter (1901-1949) a adhéré au parti nazi dès 1923. Après l’Anschluss il monte rapidement en grade et occupe différents postes de commandement, à Vienne, à Cracovie puis à Lemberg où il est chaque fois chargé des politiques anti-juives et s’en acquitte avec efficacité. Après la défaite des nazis Otto von Wächter se cache dans les Alpes autrichiennes pendant près de trois ans. Il est à cette époque l’un des chefs nazis les plus recherchés par les Alliés. En 1949 il passe en Italie grâce à des faux papiers fournis par sa femme. A Rome il bénéficie de complicités et prépare son départ pour l’Amérique du Sud mais meurt avant de pouvoir réaliser ce projet.
Pour écrire la biographie d’Otto von Wächter Philippe Sands a eu accès aux archives personnelles de Charlotte, la femme d’Otto. Journaux intimes, courriers entre les époux, bandes enregistrées, tous ces précieux documents ont été confiés à l’auteur par Horst Wächter avec qui Philippe Sands a noué une relation de confiance. Charlotte von Wächter apparaît comme une parfaite femme de nazi, parfaite nazie elle-même. Elle est tellement représentative que j’ai cru un moment la reconnaître comme une des protagonistes de Femmes de nazis. Mais non. Elle me fait aussi penser à Josée Laval, seulement intéressée par la vie mondaine qu’elle mène grace à la position de son mari (son père dans le cas de la fille Laval) : « Les déjeuners de vingt personnes étaient parfois suivis de thés où se retrouvaient quarante invités. Dans la mesure où la ville [Lemberg] était sur la route du front russe, les gens pouvaient faire une halte chez eux : la guerre devenait ainsi un catalyseur d’événements mondains ».
Charlotte est par ailleurs très amoureuse de son mari ce qui contribue aussi à la rendre totalement aveugle aux crimes auxquels il participe.
Philippe Sands a mené l’enquête à Rome sur les filières d’exfiltration de nazis. Il y met à jour le rôle actif de l’Eglise catholique, notamment en la personne de l’évêque nazi Aloïs Hudal. Après la guerre cet Autrichien a fourni gîte, argent et faux papiers aux nazis réfugiés à Rome, il en a aidé à passer en Amérique du Sud comme par exemple Franz Stangl, le commandant de Treblinka. Je découvre qu’à la fin des années 1940, dans le contexte des débuts de la guerre froide, des nazis sont aussi recrutés par les services du contre-espionnage américain. Dans l’optique de lutter contre le communisme (« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ») on ferme les yeux sur leurs crimes et on leur fourni une nouvelle identité. Les Allemands appellent cela le Persilschein (du nom de la lessive) qui lave plus blanc que blanc. L’auteur prouve que les Américains ont été au courant de la présence d’Otto dès son arrivée à Rome mais qu’ils n’ont rien fait pour arrêter ce criminel de masse, en théorie activement recherché.
Après le père et la mère Philippe Sands côtoie -et lui en chair et en os- un fils de la famille Wächter, Horst. Ce vieux monsieur affable et accueillant avec qui l’auteur a sympathisé a très peu connu son père. Il a été élevé par sa mère et son grand-père -qui a fait office de père de substitution- tous deux convaincus de l’innocence d’Otto. Aussi, tout en affirmant vouloir connaître toute la vérité sur les crimes dont son père est accusé -et sans doute le croit-il vraiment- Horst s’est enfermé dans un déni de plus en plus profond, assez fascinant à observer. Il arrive à trouver une explication édulcorante à toutes les preuves, même les plus incriminantes, que lui présente l’auteur. J’admire ce dernier qui reste très patient -il confesse cependant s’être énervé une fois.
L’enquête menée par Philippe Sands sur plusieurs années a débouché (avant le livre) sur un documentaire -What our fathers did. A nazi legacy- que je n’ai pas vu et un podcast disponible sur Radio France -que j’ai écouté en suivant la lecture du livre. J’ai trouvé l’un et l’autre passionnants et se complétant bien. Ce ne sont pas les mêmes points qui sont détaillés dans le podcast que dans le livre, il n’y a pas de redondance. Si Retour à Lemberg qui traite de points de droit international était parfois un peu technique, La filière est d’une lecture beaucoup plus accessible.
Luocine le 4 janvier 2023 :
merci pour le lien , ce billet est très complet et rend très bien compte de l’incroyable travail de cet auteur.
Keisha le 5 janvier 2023 :
Retour à Lemberg est une de mes meilleures lectures, alors je pense repartir!
Passage à l’Est le 5 janvier 2023 :
Comme Keisha je garde un vraiment excellent souvenir de ma lecture de Retour à Lemberg et j’ai bien envie de poursuivre. Merci de souligner que le podcast et le livre se complètent sans redondance. Si tu n’as pas lu Sonnenschein, de Dasa Drndic, je te le conseille. J’y pense entre autres parce que le rôle de l’Eglise catholique pendant et après la guerre y est évoqué (même si ce n’est pas le principal sujet du livre).