Marguerite est folle, internée depuis l’âge de 40 ans, en 1931, à l’asile de Saint Alban sur Limagnole en Lozère. A Saint Alban pas d’eau courante, pas d’égouts, pas de chauffage en hiver et, dans le pavillon des agitées où Marguerite est enfermée, des dortoirs de femmes en uniformes gris qui se tapent dessus lors de leurs crises. On mange mal et l’occupation aggrave la situation, de nombreux malades meurent de faim.
La Libération va être aussi celle des malades. Avec l’arrivée de médecins qui ont connu les camps de concentration les portes s’ouvrent et les murs qui enfermaient disparaissent. Il y a encore des pénuries mais c’est une période d’intense réflexion en ce qui concerne la psychiatrie. A Saint Alban on met les malades à l’art. Marguerite brode. Des tableaux de couleur -comme celui qui est reproduit en couverture du roman- et puis la robe de mariée, en dentelle faite du fil des draps usés de l’hôpital.
Jean Dubuffet, en visite à Saint Alban, est enthousiasmé par l’art des fous et crée la notion d’art brut. Il acquiert des tableaux de Marguerite. Cinq ans après la mort de cette dernière il obtient des religieuses qui s’occupent de l’asile qu’elles lui cèdent la robe de mariée. Depuis la création du musée de l’art brut à Lausanne elle y est exposée de façon permanente.
Marguerite Sirvins (1890-1957) était la soeur de la grand-mère maternelle de mon mari. Dans la famille son existence était passée sous silence. Pendant la guerre ma belle-mère, séjournant chez ses grands-parents (les parents de Marguerite) les voyait préparer des colis « pour une dame ». Ce n’est que lorsque Anne-Claire Decorvet a commencé à enquêter pour son roman que nous avons découvert que Marguerite était une artiste de l’art brut, exposée à Lausanne sous le pseudonyme de Marguerite Sir -pour préserver le secret des familles on ne mentionne que les trois lettres initiales du nom des artistes fous. Au passage le secret de la famille Sirvins a tellement bien été protégé que personne n’a songé à les informer qu’on disposait de l’oeuvre de leur parente.
Mais à part l’intérêt personnel ce roman, il vaut le coup ?
Anne-Claire Decorvet varie les points de vue. Elle raconte alternativement depuis la place de divers protagonistes, notamment Marguerite. Et là je trouve que c’est tout à fait réussi parce que cela donne l’impression de se retrouver dans la tête de Marguerite, de façon convaincante et parfois un peu inquiétante, je dois le dire. Vu les titres de ses précédents ouvrages (En habit de folie et L’instant limite) il semble que l’auteur avait déjà réfléchi à la question de la folie.
J’ai apprécié aussi de découvrir l’histoire et le fonctionnement de l’asile de Saint Alban, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. Pour toutes ces raisons, ce roman m’a touchée.