
Récemment, à la cantine, un collègue dit : « Quand je vois certains parents d’élèves, je me dis, tu vois, l’eugénisme… Dommage ! » Il ne le dit en ces termes exacts mais c’est bien comme cela que je l’entends. Alors je lui répond : « Mais Georges (le prénom a été changé), tu plaisantes, tu ne crois pas ce que tu dis ! » Je dis ça pour l’asticoter parce que je crois, moi, qu’il plaisante. Mais bon, non, finalement peut-être pas. Alors je cite Edouard Louis sur lequel j’ai lu plusieurs articles dans la presse.
Conclusions : 1) Aucun de mes collègues présents ce jour n’avait entendu parler d’Edouard Louis.
2) Il faut que je lise rapidement Pour en finir avec Eddy Bellegueule.
Dans ce roman, en grande partie autobiographique, Edouard Louis raconte comment et pourquoi il a quitté -fui serait plus juste- son milieu et sa famille. Ce milieu c’est celui du sous prolétariat picard, pauvre, alcoolique, inculte, intolérant (raciste, homophobe, sexiste). Les individus s’y construisent selon des critères de genre très rigides. Les hommes sont des durs, ils boivent, ils se battent, les femmes font des enfants jeunes. Au milieu de cela Eddy Bellegueule, le narrateur, effémine depuis toujours, détonne et gêne. Il est moqué et battu. Lui-même vit dans la honte. Honte de sa famille et honte de ce qu’il est et dont il tente de se guérir -en vain. Ce qui me frappe surtout c’est ce sentiment de honte de soi très présent et dont il ne dit pas comment -et si- il a réussi à se débarrasser. Plus tard il a découvert Bourdieu et la sociologie lui a permis d’expliquer et, j’imagine, de mettre à distance ce qu’il avait vécu.
Dans un article paru dans Le Nouvel observateur, il dit :
« J’en voulais aux individus. Les sciences sociales m’ont permis de réaliser que la violence est produite par les structures sociales. Cette violence est invisible. Les enfants pauvres qui sèchent l’école croient faire un choix, sans voir qu’ils subissent des mécanismes violents. »
Oui, je suis plutôt d’accord mais en même temps il y a là un déterminisme auquel je n’adhère pas. Parce que si on est entièrement agi par des forces extérieures et qu’il n’existe aucune possibilité de libre arbitre alors est-ce que ça ne veut pas dire que Georges (mon collègue) a raison et qu’il faut empêcher les pauvres de faire des enfants ?
Adelia le 16 mars 2014 :
Il vaut mieux lire: Daniel Carton A la grâce, Fayard 2013. Dans à la grâce, Daniel Carton nous raconte les femmes et les corons: 14/03/2013 — Révolution, en décembre, ouvrait le Louvre-Lens. A deux pas des terrils de charbon reconvertis aujourd’hui en parcs naturels. Daniel Carton y a passé son enfance avant de devenir journaliste au Nouvel Observateur et au Monde. Auteur de « A la Grâce », il nous incite à une plongée tendre et lucide dans ces petites maisons coincées entre l’église du parti et celle du curé. Par Béatrix de l’Aulnoit http://www.marieclaire.fr/,dans-a-la-grace-daniel-carton-nous-raconte-les-femmes-et-les-corons,20158,688514.asp
Et écouter la chanson Les Corons de Pierre Bachelet, sur les régions minières du Nord de la France, 1982.
Réponse :
Mais Daniel Carton, je le lis dans ton lien, ne nous parle pas du tout de la même époque. Edouard Louis est très jeune, il a 21 ans. Depuis il y a la télé, allumée en permanence, un poste par pièce et la situation économique qui a changé. En même temps l’école française joue de moins en moins bien son rôle d’ascenseur social.
Aaliz le 23 mars 2014 :
La position sociale ne détermine rien même si, il faut le reconnaître, elle peut faciliter ou compliquer les choses. Je pense qu’il s’agit aussi d’une question de tempérament qui n’a rien à voir avec le degré de richesse du milieu d’où on vient. Certains sont des battants et d’autres non. Bien sûr, dit comme ça, c’est réducteur, il y a tellement de paramètres à prendre en compte et la chance y a son rôle aussi. Moi aussi j’ai très envie de lire ce livre qui créé une polémique si impressionnante.
Réponse :
Je pense quand même que l’origine sociale pèse lourd. Dès le départ certains sont moins favorisés, n’ont pas les clés de la culture, notamment. Mais je crois également que de ce qui nous échoit on peut faire différentes choses.
Loupita le 25 mars 2014 :
Il suffit de regarder le pourcentage d’enfants d’ouvriers à l’université vs. le pourcentage d’enfants de cadres, c’est édifiant ! Et je pense aussi que richesse et culture ne sont pas forcément liées, personnellement j’ai accepté l’idée que je serai pauvre, docteure et capable de parler de théorie littéraire, mais pauvre. Autre exemple : on vit dans une société raciste, quelle est la chance pour un enfant Rrom de s’en sortir en 2014 en France ? Au vue de la situation actuelle, je dirais autour de 0, même s’il y a des battant.e.s, même s’iels ne sont pas plus bêtes que les autres, qui s’en soucie ?
Réponse :
« Docteure mais pauvre ». J’ai l’impression qu’on est arrivé à la fin d’une époque -ou d’un monde. Notre civilisation de consommation est en train de s’effondrer et, à l’heure actuelle, personne n’est en mesure de proposer une alternative à la fois crédible et audible. Je pense que c’est ça qui explique l’augmentation de l’abstentionnisme et du vote FN.
Loupita le 2 avril 2014 :
Je viens de le finir et je suis très très partagée ! Déjà, je ne comprends pas du tout où il veut en venir d’un point de vue générique, ça reste complètement flou pour moi. Puis, j’imagine bien que ce qu’il raconte est réaliste, mais je sais pas je trouve que ça fait tellement »à charge »; comme livre, ça enfonce les portes ouvertes, ça conforte les gens dans leurs clichés.
D’un point de vue littéraire c’est pas très exaltant, y’a pas vraiment de construction, plutôt une série d’anecdotes accumulées. Bref, c’est pas mauvais, mais je ne comprends décidément pas le succès foudroyant de ce livre (à part, comme on le disait, pour se dédouaner de son mépris de classe à bon compte…)
Réponse :
D’accord avec toi. Finalement, ce qui est intéressant, plus que le livre lui-même, c’est toutes les réactions qu’il a entraînées. Après on est bien obligé de se rendre compte que les livres autour desquels on fait le plus de battage ne sont pas toujours les meilleurs (ou que la qualité n’est pas à proportion du battage).
Maggie le 6 avril 2014 :
Le sujet a retenu mon attention ! Je lai repéré sur un autre blog et je le note sur ma LAL
Réponse :
Un livre qui a fait couler beaucoup d’encre, en tout cas.