
En 1843, Narcisse Pelletier, un jeune matelot, est abandonné par accident sur une plage perdue d’Australie. Recueilli par une tribu aborigène, il s’accoutume petit à petit (au départ avec de très grandes difficultés) à leurs moeurs au point de devenir l’un des leurs et d’oublier sa langue maternelle. En 1861, Narcisse est « sauvé » par l’équipage d’un navire britannique, emmené à Sydney puis confié -quand il apparaît qu’il est Français- aux soins d’Octave de Vallombrun, aspirant explorateur qui n’a pas réalisé grand chose de concret jusqu’à présent.
« Inspiré d’une histoire vraie« , nous dit-on en quatrième de couverture, ce roman alterne un chapitre de la difficile adaptation de Narcisse à sa nouvelle vie et un chapitre constitué par une lettre de Vallombrun au président de la Société de géographie de Paris auquel il narre l’évolution de son protégé. Au départ les héros ont tous les deux des idées préconçues très négatives sur les « sauvages ». Pour ceux qui l’ont recueilli, Narcisse est le « sauvage blanc« . Il était blanc et il est devenu sauvage, Vallombrun se donne pour mission d’en refaire un Blanc, comme si sauvage était une couleur de peau. En faisant mieux connaissance avec Narcisse, Vallombrun va évoluer au point de se poser des questions, assez dérangeantes pour son entourage, sur cette notion de civilisation. J’apprécie cette évolution du personnage.
Et Narcisse, il en pense quoi de ce qui lui arrive ? Cela nous ne le saurons pas car le récit concernant le matelot abandonné s’arrête au moment où il accepte sa nouvelle vie. C’est dont essentiellement un regard négatif d’homme blanc imbu de sa supériorité que nous avons sur la tribu aborigène. Et finalement Vallombrun m’apparaît comme un personnage plus complet et en fait c’est lui le véritable héros parce qu’il agit alors que Narcisse subit.
Je me suis posée beaucoup de questions sur la crédibilité de ce roman. Ce qui m’a interrogée c’est surtout l’aspect psychologique. Peut-on vraiment, même tout jeune, même en ayant reçu une scolarité limitée, même en ayant passé la moitié de sa vie dans un cadre totalement étranger à celui de ses origines, avoir tout oublié de sa langue maternelle et de sa famille ? François Garde donne l’explication d’une amnésie salvatrice qui préserve Narcisse de sombrer dans la folie. Soit.
Après lecture, en faisant des recherches sur ce roman, je suis tombée sur un texte de Stéphanie Anderson, anthropologue australienne, qui dit tout le mal qu’elle pense de l’image des Aborigènes qui est transmise ici. En effet, je pense que pour le moins, il est un peu malhonnête de laisser croire par « inspiré d’une histoire vraie » qu’on a affaire ici à quelque chose qui pourrait être une image de la réalité. Après le récit historique qui veut se faire passer pour un roman, le roman qui veut se faire passer pour un récit historique.
Malgré tout c’est un livre que j’ai plutôt apprécié. Maintenant il faudrait pouvoir lire le récit du vrai Narcisse Pelletier.
Loupita le 11 juin 2013 :
Pour la perte de la langue maternelle, vois le cas du Hongrois dans Un roman russe. Je dois avoir le lien d’un doc sur les aphasies, je te le passerai à l’occasion 🙂
Réponse :
Et le Hongrois, il avait tout oublié de sa langue ? J’avoue que moi-même j’ai oublié. Je me souviens par contre du documentaire Piégés par Staline où une Française qui avait quitté la France vers 20 ans et passé ensuite toute sa vie en URSS avait énormément de mal à s’exprimer en français mais était quand même capable de faire passer une idée simple.
Loupita le 13 juin 2013 :
Le Hongrois il parlait un espèce de mélange hongrois/russe incompréhensible, mais il faut dire que c’étaient des conditions extrêmes : interné pendant 50 ans dans un asile psychiatrique soviétique, forcément ça laisse des traces… Je crois qu’il a réappris le hongrois ensuite mais non sans mal.
Pour ce qui est des réactions du cerveau, mon cours de psycholinguistique de cette année m’a convaincue que TOUT est possible en matière de langage (même si très rare).
Réponse :
Merci, très chère, pour ces précisions. Ton doc sur les aphasies m’intéresse.
Keisha le 11 juin 2013 :
Oublier totalement sa langue, ses mots? Étonnant, mais pourquoi pas, tant de choses sont bizarres dans les réactions de l’être humain. Ce qui est sûr, c’est qu’on peut à force de vivre à l’étranger, prendre un accent en parlant français et chercher les mots en français.
Réponse :
En effet.
Jeanne le 20 juin 2013 :
D’après Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Narcisse_Pelletier), il a raconté son histoire dans Narcisse Pelletier : dix-sept ans chez les sauvages de Constant Merland.
Réponse :
Oui, mais un livre qui n’est plus édité, semble-t-il.
Jeanne le 21 juin 2013 :
En tout cas l’article sur Wikipédia permet déjà de voir que ce roman n’est pas tout à fait fidèle à la réalité (on nous dit notamment que NP a ré-appris le français très vite, autant dire qu’il ne l’a pas vraiment oublié quoi).
Réponse :
Dans le livre aussi, il réapprend très vite. C’est que ce n’était qu’en apparence oublié, il en avait des traces quelque part dans sa mémoire.