Né à Lodz, en Pologne, en 1914, Chil Rajchman est déporté à Treblinka en octobre 1942. A l’arrivée il est séparé de sa soeur cadette qui part directement à la chambre à gaz. Lui est sélectionné pour ramasser les vêtements abandonnés par les victimes sur le quai d’arrivée. Il échappe ainsi à la mort. Plus tard il devient coiffeur (il coupe les cheveux des femmes avant qu’elles soient gazées) puis dentiste (il arrache les dents en or des cadavres). Le 2 août 1943 les prisonniers de Treblinka se révoltent, Chil fait partie de ceux qui arrivent à s’échapper. Il se cache à Varsovie jusqu’à la fin de la guerre. Il émigre en Uruguay où il meurt en 2004.
Treblinka était un centre de mise à mort, un lieu où les Juifs étaient assassinés dès leur arrivée; mis à part ceux qui, comme Chil, étaient gardés en vie pour accomplir le travail de manutention. On estime que les nazis ont tué 700 000 à 900 000 Juifs à Treblinka. Chil Rajchman est un des 57 survivants. Son témoignage est donc rare. Il l’est d’autant plus qu’il a été écrit très vite après les événements, avant même la fin de la guerre. Beaucoup de récits de survivants de la shoah ont été écrits des années après les faits, alors que la mémoire s’est recomposée. Toute sa vie Chil Rajchman a conservé son texte avec lui et il a demandé à sa famille de le publier après sa mort, ce qui a été fait récemment.
Dès l’arrivée à Treblinka Chil, qui a espéré pendant tout le trajet qu’on les emmenaient au travail forcé, comprend ce qui les attend :
« Par la lucarne du wagon nous découvrons un tableau terrifiant, une image de mort. Des monceaux de vêtements. Je réalise que nous sommes perdus. C’est fini. »
Ce passage qui vient tout au début du livre m’a frappée au coeur et j’ai pensé que j’allais avoir du mal à lire la suite. Mais l’écriture rend très bien le rythme effréné qui est celui de la vie des prisonniers. Ils sont sans arrêt sous la menace des coups des brutes sadiques qui leur servent de gardiens et ils n’ont pas un instant pour réfléchir. Et la lecture, c’est pareil. J’ai été happée par le mouvement, pratiquement sans pouvoir m’arrêter. Ce n’est qu’à la toute fin que l’émotion m’a reprise violemment :
« Oui, j’ai survécu et je suis libre, mais à quoi bon ? Je me le demande souvent. Pour raconter l’assassinat de millions de victimes innocentes, pour témoigner d’un sang innocent versé par ces assassins.
Oui, j’ai survécu pour témoigner de ce grand abattoir : Tréblinka. »
Un texte puissant.