Une vie étrange et dangereuse
En 1998 Tom Reiss se rend en Azerbaïdjan pour son travail. Avant de partir il cherche à se documenter sur le pays. On lui conseille la lecture d’un roman écrit en 1937, Ali et Nino, dont l’action se déroule en partie à Bakou. Sur place, Tom Reiss découvre qu’Ali et Nino fait figure de roman national mais que personne ne sait qui est l’auteur qui se cache derrière le pseudonyme de Kurban Saïd. Il décide de mener l’enquête. Il trouve que Kurban Saïd, qui se fait aussi appeler Essad Bey, est en fait Lev Nussimbaum.
Né en 1905 Lev Nussimbaum a grandi à Bakou. Sa mère est morte quand il était tout jeune, son père est un magnat du pétrole. Au début du 20° siècle l’Azerbaïdjan est la première région productrice de pétrole du monde. Dans ce pays le pétrole suinte du sol et les collines s’enflamment spontanément. On devient riche en piochant son champ. Cette situation a donné naissance à une société cosmopolite. Hommes d’affaires chrétiens, musulmans et juifs (comme les Nussimbaum) se fréquentent sans souci de leurs origines. Ils se font construire de splendides villas, un opéra, un casino et Bakou passe pour un petit Paris.
Mais tout cela prend fin avec la révolution russe. Dès 1917 Bakou est touchée par la guerre civile. Une fois aux mains des Rouges, un coup dans celles des Blancs, un temps indépendant, l’Azerbaïdjan fini par être rattaché à l’URSS. Les Nussimbaum fuient les violences en traversant la mer Caspienne vers l’Iran. Un long périple les mène ensuite à Constantinople puis à Berlin.
En cours de route, Lev s’est converti à l’islam. Depuis sa jeunesse il est fasciné par la civilisation musulmane qu’il voit comme un lien avec ses racines orientales. A Berlin il s’inscrit aux Langues Orientales, se fait appeler Essad Bey et commence à écrire. C’est un auteur très prolixe qui écrit des biographies (de Nicolas 2, de Lénine, de Staline), des ouvrages sur la révolution russe ou le Caucase, une autobiographie romancée. C’est un auteur à succès de la fin des années 20 et du début des années 30. Mais en 1935 Lev est frappé par deux malheurs : sa femme le quitte et il est interdit de publication en Allemagne car juif. Il termine sa vie en Italie, un peu isolé, atteint par une maladie dégénérative dont il meurt en 1942.
J’ai beaucoup apprécié ce passionnant ouvrage. Tom Reiss est un conteur habile qui sait mettre en valeur ses découvertes. Il a travaillé pendant cinq ans pour percer à jour les secrets de Lev. Il a eu des coups de chance, des rencontres inattendues qui lui ont permis d’avancer. Il est arrivé aussi juste au dernier bon moment car certains des témoins qu’il a rencontrés étaient des personnes très âgées qui sont mortes peu après. Cet aspect humain de sa recherche me fait penser au travail de Daniel Mendelsohn pour Les disparus.
La vie de Lev est aussi un prétexte pour nous présenter les régions qu’il traverse et les gens qu’il rencontre. J’ai découvert ainsi l’histoire de l’Azerbaïdjan qui m’a beaucoup intéressée. Depuis longtemps je suis fascinée par le Caucase et son mélange de populations et de langues. L’auteur nous présente enfin son personnage comme le type même de l’orientaliste juif des 19° et 20° siècles, phénomène d’abord apparu dans l’Angleterre victorienne. Ces orientalistes juifs voyaient les Arabes comme des frères et il y eût des sionistes promusulmans. Tout cela est bien loin aujourd’hui.
Et maintenant je vais lire Ali et Nino.
Lounima le 19 mai 2010 :
Un livre que tu me donnes bien envie de découvrir : il a l’air passionnant ! 😉
Réponse :
Passionnant en effet et je suis étonnée de ne pas en avoir entendu parler avant. Je l’ai découvert par hasard en librairie où il est mis à l’honneur car il vient de sortir en poche mais sinon la version grand format est déjà un peu ancienne.