Albert Cossery est mort en juin 2008. J’ai découvert son existence en lisant sa nécrologie dans Le Monde. C’était un personnage original qui se vantait de n’avoir jamais travaillé de sa vie (cela ne se faisait pas dans sa famille) et qui vivait à l’hôtel. Mendiants et orgueilleux était présenté comme son chef d’oeuvre et quand j’ai trouvé récemment chez mon bouquiniste cette vieille édition à un prix défiant toute concurrence j’ai donc sauté sur l’occasion.
Mendiants et orgueilleux, tels sont les héros de ce roman dont l’action se déroule au Caire dans les années 50. Il y a Gohar, un ancien professeur qui survit en faisant un peu de comptabilité pour un bordel de la ville indigène; Yéghen, petit escroc, petit trafiquant de drogue et El Kordi, employé aux écritures dans une administration dont la plus grande partie du salaire sert à rétribuer les collègues qui veulent bien faire son travail à sa place. Tous les trois se complaisent dans leur simplicité voire leur dénuement volontaire, se contentant de goûter la vie qui passe, de se réjouir des comportements absurdes de leurs contemporains.
« Devant une boutique vide il vit un homme d’un certain âge, aux vêtements soignés, assis dignement sur une chaise, et qui regardait passer la foule d’un air détaché et royal. L’homme avait une attitude majestueuse extraordinairement frappante. « Voilà un homme selon mon coeur », pensa-t-il. Cette boutique vide et cet homme qui ne vendait rien étaient pour lui une trouvaille inestimable. La boutique, Gohar le devinait, représentait simplement un décor ; elle lui servait pour recevoir ses amis et leur offrir une tasse de café. C’était là le comble de l’opulence et de la générosité. Gohar le salua comme une vieille connaissance et l’homme répondit à son salut avec un sourire suave, à peine perceptible, comme s’il comprenait qu’on l’admirait. »
Quand Gohar, en manque de hachisch, étrangle une jeune prostituée, il est ensuite fort surpris par son crime car il est étranger à toute violence. La mort de la pauvre fille est cependant vite oubliée, considérée comme une fatalité. En fait elle n’est que le prétexte pour faire entrer en scène l’officier de police Nour El Dine, chargé de l’enquête. Car il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce roman, il s’agit seulement de nous présenter ces personnages qui ont fait de la paresse un art de vivre et qui fascinent Nour El Dine qui les considère comme des misérables et ne comprend pas comment ils peuvent avoir une si haute opinion d’eux-mêmes.
Quant à moi je n’ai été qu’à moitié convaincue par ma lecture. J’ai apprécié certaines descriptions pittoresques avec parfois une pointe d’humour. Par contre j’ai trouvé que pour des gens qui rejetaient tout ce qu’il est convenu de considérer comme un mode de vie bourgeois les personnages avaient parfois des opinions bien stéréotypées, notamment sur les femmes :
« Elle avait une mine revêche et l’air arrogant d’une femme pourvue d’un mâle ».
« Gohar était reconnaissant aux femmes, à cause de l’énorme somme de bêtise qu’elles apportaient dans les relations humaines ».
Je termine avec le pompon, à propos de Nour El Dine : « Il avait été habitué à plus de soumission de la part de ses jeunes amis ; mais aussi, c’étaient, pour la plupart, des êtres veules et sans caractère. Ils n’avaient pour eux que leur beauté : c’étaient presque des femmes ».
Sybilline le 30 novembre 2008 :
Personnellement, j’ai été écoeurée par cette apologie de la paresse profiteuse et sans scrupule qui ose se prétendre vertu ! Ceci dit, je lis avec plaisir ton blog qui aborde avec intelligence des auteurs de tous bords.
Réponse :
Je n’ai pas non plus trouvé les personnages très sympathiques.