D’origine indienne, Irshad Manji est née en Ouganda et vit au Canada depuis sa petite enfance. Elle est musulmane et elle est lesbienne. Irshad Manji se pose de nombreuses questions sur sa religion et elle y apporte des réponses qui sont tout sauf stéréotypées.
Dans ce livre elle s’adresse aux musulmans et aux autres pour les amener à s’interroger sur l’islam d’aujourd’hui.
L’islam est-il compatible avec la démocratie et les droits de l’homme (droits des femmes, droits des minorités religieuses, droits des homosexuels) ? Pour répondre à cette question elle remonte à l’époque de l’islam éclairé et ouvert entre 750 et 1250. Qu’est ce qui a ensuite mal tourné, pourquoi les musulmans ont-ils cessé de penser ? Pour elle c’est le début des défaites militaires qui a entraîné un repli sur soi comme système de défense.
Une partie de l’ouvrage est consacrée à la naissance de l’état d’Israël et au sort du peuple palestinien. Irshad Manji rappelle qu’Israël est la seule démocratie de la région et que les états arabes ont fait beaucoup pour le malheur des Palestiniens. Comme tout le reste, ceci est solidement étayé par des arguments et des exemples.
Irshad Manji questionne aussi la place de l’Arabie Saoudite dans la doctrine musulmane contemporaine. Elle critique cet islam arabe qui a imposé ses vues obscurantistes et appelle les musulmans non-arabes (notamment asiatiques) à s’en détacher.
Pour terminer, l’auteur explore les pistes qui pourraient permettre à l’islam d’évoluer positivement. Son idée est que la réforme doit passer par les femmes et une amélioration de leur statut économique. En leur concédant des micro-crédits on leur permettrait de monter de petites entreprises. La prise de responsabilités et l’autonomie dans la sphère économique entraineraient automatiquement la même chose dans la sphère privée et religieuse.
Un très bon ouvrage dont les thèses m’ont convaincues. L’ensemble est très bien documenté, érudit sans en avoir l’air. Le style est vif et percutant, servant parfaitement le propos. Une femme de caractère et de convictions. Ca décoiffe et c’est plutôt réjouissant. Chapeau, Mme Manji !
Pavan K. Varma, Le défi indien, Actes sud.
Pourquoi le XXI° siècle sera le siècle de l’Inde
« Je rencontrai sur mon chemin tant de difficultés
Qu’elles furent toutes surmontées. »
Mîrzâ Ghâlib, poète urdu (1796-1869)
Dans ce livre, Pavan K. Varma s’interroge sur ce que c’est qu’être Indien (titre original : Being Indian, why the 21st century will be India’s ?) et répond en pointant les traits de civilisation qui sont des atouts pour le développement de l’Inde et qui doivent lui permettre d’être une grande puissance au 21° siècle. D’après l’auteur ces traits de civilisation sont au nombre de quatre.
1- Les Indiens admirent le pouvoir et les attributs du pouvoir. « Selon la tradition indienne celui qui est puissant n’est pas censé être réticent ou modeste dans la projection de son pouvoir« . Et c’est grâce à cela que la démocratie a pu se maintenir et durer en Inde, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays nouvellement indépendants. « La démocratie a survécu en Inde non pas parce que les Indiens sont des démocrates, mais parce que la démocratie est apparue comme l’instrument le plus efficace pour la conquête complaisante du pouvoir ». Et la démocratie est un atout pour le développement.
2- Les Indiens ont à coeur de s’enrichir personnellement. La religion hindouiste valorise cette réussite (« Acquérez de la richesse. Les racines du monde sont sa richesse. Il n’y a aucune différence entre un homme pauvre et un homme mort« . Le Râmâyana) et l’encourage : « même la mort ne peut pas empêcher d’avoir une nouvelle chance. On a donc toujours raison de ne pas perdre espoir« . Ceci explique l’esprit d’entreprise des Indiens et l’auteur donne de nombreux exemples de réussites en affaires par des personnes souvent parties de peu.
3- Les Indiens réussissent bien dans les Nouvelles Technologies de l’Information. Pourquoi ? Après l’indépendance, Nehru a voulu favoriser l’instruction primaire mais les classes supérieures ont réussi à faire porter les efforts plutôt sur l’enseignement supérieur et ce dans leur propre intérêt. Le résultat en est que l’Inde a le plus grand nombre d’enfants non scolarisés dans le monde mais aussi qu’elle a formé un grand nombre d’ingénieurs en informatique qui permettent au pays d’être bien placé sur la scène internationale. Et ils parlent Anglais (grâce à la colonisation britannique). Cependant Pavan K. Varma déplore qu’il n’y ait pas en ce domaine de « créateur » indien, seulement des exécutants. Il l’explique par le fait que les Indiens sont conformistes, conformisme qui est encouragé par un sentiment d’infériorité raciale dû à la colonisation et par la rigidité sociale (castes).
4- A la fin du 20° et au début du 21° siècles un sentiment d’appartenance nationale est en train d’émerger en Inde. Le développement d’une culture de masse fait apparaître une culture populaire nationale indienne. Par le biais de la télévision et des films hindis la langue hindie (ou plutôt l’Hinglish, Hindi mâtiné d’Anglais) se répand. De plus en plus les Indiens se déplacent à l’intérieur de leur pays, soit pour des raisons professionnelles, soit pour le tourisme.
Pour terminer, l’auteur liste ce qu’il reste à accomplir à l’Inde pour transformer ces atouts. Elle doit :
– éradiquer la corruption sous toutes ses formes.
– encourager l’initiative privée.
– capitaliser le talent de son peuple pour les industries de la connaissance.
– résoudre son problème de surpeuplement.
Pavan K. Varma est fier d’être Indien et il a raison car effectivement l’Inde est un pays en plein développement. C’est ce qui m’a frappée quand j’y ai voyagé en décembre 2005.
Pavan K. Varma est un vrai libéral qui pense qu’en de nombreux domaines il ne faut pas légiférer (notamment en économie) et que tout ira pour le mieux. Chacun ses idées, les miennes me portent un peu plus à gauche et il me semble qu’un peu d’interventionnisme de temps en temps ne peut pas faire de mal. Par exemple dans le domaine de l’éducation primaire où il reconnait lui-même qu’il reste à faire. Surtout, ce que je lui reproche c’est d’utiliser à plusieurs reprises le même exemple ou le même argument pour lui faire dire une chose et son contraire sans paraître relever les contradictions. Ainsi, l’utilisation de la crème éclaircissante « Fair & Lovely » est soit la preuve d’un sentiment d’infériorité raciale, soit le signe de la libération en marche des femmes indiennes (je glisse sur le fait que se maquiller serait une libération pour les femmes!). On retrouve ce procédé à plusieurs reprises à travers le livre et cette façon de tirer les arguments par les cheveux jette la suspicion sur le reste de l’ouvrage.
Jean Bacon, Les saigneurs de la guerre, Brève histoire de la guerre et de ceux qui la font, Phébus
Edition actualisée et définitive d’un essai paru d’abord en 1981.
En s’appuyant sur des sources nombreuses, l’auteur montre que la guerre a toujours existé et existera toujours. Trop de personnes y trouvent leur intérêt pour qu’il puisse en être autrement. D’abord les dirigeants politiques dont elle musèle l’opposition en même temps qu’elle résoud les problèmes de chômage ou de délinquance. Bien sur les marchands d’armes et les divers profiteurs de guerre.
C’est pourquoi, malgré les apparences (traités de paix, de désarmement, de non prolifération…) personne ne souhaite réellement la paix durable et « les hauts personnages qui éclairent notre route, nos respectables chefs, chefs de tout poil, chefs de gouvernement, chefs d’état-major, chefs de parti, chefs syndicalistes, chefs de rubrique, chefs de bureau, (…) sur les ondes, dans la presse, dans les conversations, dans les réunions diplomatiques défendent avec un ensemble impressionnant le principe qui sape à la base tout projet de coopération efficace entre les peuples : celui de la souveraineté nationale. »
L’auteur rappelle aussi le caractère injuste et brutal de la guerre. Des extraits de lettres de soldats de différentes époques et de différents pays montrent la même horreur face à la violence aveugle. Mais ce n’est que au coeur de la tuerie monstrueuse que ces vérités apparaissent car quelques mois plus tôt, les mêmes hommes (ou leurs frères) sont partis la fleur au fusil et quelques mois plus tard, s’ils en réchappent, ils feront d’excellents anciens combattants, prêts à éduquer les générations suivantes.
Enfin, l’épilogue est effrayant. Jean Bacon y explore les formes que pourrait prendre (fatalement) la 3° guerre mondiale. Guerre atomique, guerre bactériologique ou guerre des étoiles ?
« Désormais, il est en notre pouvoir de construire une machine qui constituerait le point culminant de la course aux armements, l’aboutissement de la logique dissuasive. Son action ne comporte aucune parade, il ne peut exister aucun missile, aucun satellite d’interception, aucun rayon de la mort qui ait la moindre emprise sur elle, pour la bonne raison qu’elle est au-delà de tout marchandage, de toute menace de représailles, qu’elle représente l’engagement suprême, irrévocable : le pays qui en dispose se suicide sur place, détruisant avec lui le reste du monde. Les Américains l’ont plaisamment baptisée « la machine du jugement dernier ». Elle coûterait au bas mot une centaine de millions de dollars – une bagatelle ! Ce serait le dernier mot de la science. »
Au total une thèse plutôt convaincante (hélas !) et une vision très pessimiste des hommes et de leur avenir. Moi qui suis d’une nature plus optimiste j’objecterai que les raisons d’espérer ont été moins creusées que celles de désespérer. Et je terminerai en citant le rapport « guerre et paix au 21° siècle » (Le Monde du 19 octobre 2005) qui montre que depuis la fin de la guerre froide les guerres dans le monde sont moins nombreuses (« le nombre de conflits armés a été réduit de 40% depuis 1992« ) et moins meurtrières (« en 1950 une guerre faisait en moyenne 38 000 morts, en 2002 cette moyenne chute à 600 morts« ).
S’agit-il d’un épiphénomène ou d’une tendance de fond ? Là est la question.