Viramma est une paysanne de la caste des Paraiyar (mot qui a donné paria en Français), une caste d’intouchables du sud de l’Inde. Elle vit dans un village du Tamil-Nadu, près de Pondichéry.
Josiane Racine est originaire de Pondichéry. Sa langue maternelle est le Tamoul et elle a fait ses études en France. A l’occasion de recherches en ethnomusicologie elle a fait la connaissance de Viramma et l’a interrogée sur sa vie. Les entretiens courent sur une dizaine d’années et donnent ce gros pavé de plus de 600 pages publié en 1994. Mais en fait près d’un tiers du livre consiste en notes et appendices.
Une confiance s’est créée entre Josiane Racine et Viramma qui lui raconte tous les aspects de sa vie laborieuse. Une enfance joyeuse mais de courte durée. Viramma est mariée encore enfant avec un homme adulte qu’elle ne découvre que le jour du mariage. Après la cérémonie la fillette reste vivre chez ses parents jusqu’à sa puberté deux ans plus tard qui marque le début de sa vie de couple. Les premiers temps sont difficiles pour cette adolescente, hier encore une enfant, qui doit maintenant tenir le foyer de son mari et coucher avec lui. Cependant comme il est doux et cherche à se la gagner en lui offrant de petits cadeaux elle s’attache progressivement à lui et leur union est suivie d’une période de lune de miel.
Les Paraiyar sont des paysans sans terre qui travaillent pour les plus hautes castes. La belle-famille de Viramma est ainsi attachée à une famille de propriétaires terriens. Ils travaillent pour eux dans les champs et à la maison et leurs doivent révérence. En échange les patrons ont une sorte de devoir de ré-embauche et participent aux évènements importants de la vie de leurs employés : dons et prêts pour les mariages, les enterrements… En même temps ces prêts lient les deux parties car les Paraiyar sont toujours débiteurs vis à vis des patrons.
Le travail est pénible et ne manque pas. Viramma et sa famille s’en sortent toujours de justesse. Le moindre imprévu -maladie qui réduit le nombre de bras- risque de les obliger à se serrer la ceinture.
Viramma a eu 12 enfants, trois ont atteint l’âge adulte. Elle vit dans un monde inquiétant où chaque décès ou maladie est attribué à un mauvais sort, esprit ou démon. Il faut alors s’adresser à un exorciste, porter des amulettes, faire des offrandes au dieu. C’est beaucoup d’argent pour des gens démunis qui part dans ces désenvoûtements.
Viramma a totalement intériorisé son statut d’inférieure. Elle répète à plusieurs reprises qu’elle est impure. Elle dit qu’il est normal que les Paraiyar travaillent et que les patrons commandent. Chacun doit rester à sa place. Cependant elle n’est pas non plus dans la flagornerie ni prête à se laisser marcher sur les pieds et quand des membres des hautes castes abusent de leur pouvoir elle le leur dit en langage cru. C’est une femme qui n’a pas sa langue dans sa poche. Le récit montre aussi que les choses sont en train de changer. Sous l’influence de partis politiques qui défendent les intouchables, les jeunes -dont Anbin, le fils de Viramma- commencent à refuser la servitude traditionnelle.
Malgré sa vie difficile Viramma apparaît comme une femme enjouée qui ne se laisse jamais abattre. Elle a reçu une petite formation d’accoucheuse et semble un pilier du céri, le quartier des intouchables. C’est une forte personnalité qui force l’admiration.
La lecture est parfois un peu fastidieuse (j’ai trouvé long tout ce qui concernait l’énumération des différents exorcismes) mais intéressante pour ce qu’elle montre de la vie rurale, des relations complexes entre les castes et de la solidarité des exclus.
Sarah Dars, Bengal hot, Picquier
Le héros de ce roman policier est un médecin ayurvédique de caste brahmanique que tout le monde surnomme Doc. Il est invité à séjourner chez la famille Dâs, éditeurs depuis trois générations à Calcutta. Peu de temps après son arrivée les deux filles Dâs, Urvashî et Tilottamâ ainsi que Girish, le mari de Urvs, sont retrouvés assassinés. Puis Pramod, le mari de Tilo, se suicide. Est-ce un aveu de culpabilité et l’affaire est-elle réglée ? Pas si simple…
J’ai trouvé l’enquête policière guère palpitante et le personnage de Doc trop peu étoffé. Pour moi l’intérêt principal de ce roman réside dans la description de la ville de Calcutta et de son intelligentsia. J’ai appris que la capitale du Bengale était une ville de culture aux nombreuses librairies. Les informations sont parfois apportées de façon un peu lourdement didactique mais dans l’ensemble c’est plutôt intéressant. A lire sans doute avant, pendant ou après un voyage à Calcutta. Le brahmane Doc mène d’autres enquêtes et d’après les titres chacune semble se dérouler dans une ville différente d’Inde.
Six choses sur moi
J’ai été taguée par Elfe. Il s’agit d’une chaîne de blogs dont voici le règlement :
Ecrire le lien de la personne qui nous a tagué.
Préciser le règlement sur son blog.
Mentionner 6 choses sans importance sur soi.
Taguer 6 autres personnes en mettant leur lien.
Prévenir ces personnes sur leur blog respectif.
Alors voilà :
A partir de 21 heures 30, 22 heures au plus tard je m’endors. Chez moi pas de problème, je me mets au lit et je m’endors sur mon livre mais en soirée ça peut poser problème : je somnole à la fin du repas ou je baille à me décrocher la mâchoire.
Je peux difficilement me passer de chocolat. J’en consomme quotidiennement avec une prédilection pour la marque Côte d’or. Quand il n’y en a plus je me rabats sur le Nutella.
Je sais tricoter, faire du crochet et broder. Mais plus je lis, moins je pratique. Ceci dit c’est comme la bicyclette, ça ne s’oublie pas.
Non seulement je regarde des films de Bollywood mais quand j’ai fini je me passe les BO en boucle.
Je collectionne les « boules de neige » (on les retourne et il neige !) J’en ai plus de 60 sur une étagère dans mon salon.
Je ne vois que de l’oeil droit et en plus je louche du gauche (ça ne m’a pas empêché de trouver l’amour !). De loin il arrive que mon interlocuteur croie que je m’adresse à son voisin.
Et les suivantes sont : Sylvie, Allie, Gambadou, Naina, Lilly et Lily. Amusez-vous bien les filles !
Christian Delacampagne, Une histoire du racisme, Le livre de poche
Dans cet excellent petit livre Christian Delacampagne nous présente une histoire du racisme depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours (mon édition date de 2000).
« Le racisme commence lorsqu’on cherche à donner des inégalités sociales une justification fondée dans la nature, accompagnée de références explicites à des éléments de savoir biologique » ou plus simplement, le racisme c’est « toute forme de haine de l’autre en tant qu’autre, fondée non pas sur ce que l’autre fait mais sur ce qu’il est réputé être ».
Comme tout phénomène chaque différent type de racisme a une origine précise. Ainsi le racisme antinoirs s’est développé avec la diffusion du christianisme. Avant, chez les Grecs et les Romains, les Noirs peuvent être victimes de préjugés mais en tant qu’étrangers, pas en tant que Noirs. Chez ces deux peuples il y a des mariages mixtes et qui ne choquent pas.
L’antisémitisme quant à lui a certes existé avant les Chrétiens mais ce sont ces derniers qui lui ont donné toute son ampleur. Le christianisme n’était au départ qu’une secte juive parmi d’autres et il lui a fallu se démarquer clairement du judaïsme pour émerger. Au Moyen-âge c’est à partir de la fin du 11° siècle que le sort des Juifs se dégrade en Europe.
Christian Delacampagne aborde aussi les grands génocide du 20° siècle : le génocide des Arméniens par les Turcs, le génocide des Juifs et des Tsiganes par les nazis, le génocide des Tutsi par les Hutu. C’est l’occasion de nous préciser les caractéristiques d’un génocide. C’est le fait d’organiser volontairement la disparition d’un peuple. Ainsi pour les Indiens d’Amérique on ne peut pas parler de génocide car si les exactions commises contre eux ont bien abouti à leur quasi-disparition cela n’a pas été le résultat d’un plan concerté pour les détruire. Enfin le négationnisme est la dernière étape pour le génocideur pour faire disparaître la réalité de son crime car tout génocide qui demeure impuni est un génocide réussi.
Il y a encore d’autres sujets passionnants comme la traite atlantique (qui entraîna la déportation de 11 millions d’Africains) et l’esclavage des Noirs, l’apartheid en Afrique du sud. Chacun des thèmes abordé l’est sous un angle historique (rappel des faits et des dates) et sous un angle philosophique et politique engagé. Comme il en a averti le lecteur dans l’introduction l’auteur ne reste pas neutre, il propose son analyse personnelle.
Anita Nair, Un homme meilleur, Picquier
Elevé par un père autoritaire qui le brutalisait et le rabaissait et qui terrorisait aussi sa mère, Mukundan a quitté son village natal dès l’âge de 18 ans pour échapper à une existence haïe. Cependant, devenu enfin indépendant, il ne s’est jamais marié, vivant en colocation avec des collègues de travail. A 58 ans il prend sa retraite et, par la force des choses, retourne s’installer dans la maison familiale.
Là il est tourmenté par le fantôme de sa mère dont il se reproche la mort accidentelle quelques années plus tôt. Il rencontre Bhasi, peintre en bâtiment avec qui il se lie d’amitié et qui va l’aider à exorciser ses démons. Il fait la connaissance d’Anjana dont il tombe amoureux.
Mais si Mukundan a besoin de relations affectueuses il rêve aussi de reconnaissance sociale. Il aimerait, comme son père, plus que son père, être reconnu au village comme un notable. Les circonstances vont mettre en balance la notoriété d’un côté, l’amour et l’amitié de l’autre. Entre les deux, Mukundan devra faire un choix.
Dans ce roman, comme dans Compartiment pour dames, Anita Nair nous présente un personnage arrivé à un tournant de sa vie. Pour Mukundan c’est le moment de cesser de subir son éducation et de devenir enfin acteur de son destin. L’auteur nous montre aussi qu’on peut progresser à tout âge.
J’ai bien aimé.
Rudyard Kipling, Kim, Folio
L’histoire se passe dans l’Inde britannique, à la fin du 19° siècle. Kim, un orphelin d’origine irlandaise, vit d’expédients dans les rues de Lahore où tout le monde le prend pour un Indien. Par désoeuvrement il se fait le disciple d’un lama tibétain à la recherche de la rivière sacrée qui lui permettra de s’affranchir de la Roue des Choses (du cycle des réincarnations- c’est un moine bouddhiste). Les voilà partis sur les routes de l’Inde, Kim mendiant la nourriture du vieil homme.
En route, ils croisent un régiment de soldats irlandais et Kim est reconnu comme le fils de Kimball O’Hara. Il est alors envoyé dans un lycée pour y recevoir une éducation digne de ses origines. Kim a attiré l’attention d’un officier des services secrets qui a compris tout le parti qu’il pouvait tirer d’un garçon débrouillard, capable de se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Et le renseignement, avec ce qu’il implique de roublardise et d’adresse, tente Kim. Il accepte donc de rester au lycée mais à chaque période de vacances il repart sur les routes avec son lama à qui il s’est attaché comme à un père.
J’ai beaucoup aimé ce roman d’aventures et de formation. Rudyard Kipling écrit bien, ne dédaignant pas de se moquer des uns et des autres. Un peu de misogynie, une dose de supériorité à l’égard des basses castes, pas mal de mépris pour les Européens qui ne comprennent pas un mot d’Hindoustani. On sent bien que le personnage de Kim est son idéal : le Blanc totalement assimilé qui manie la langue locale jusque dans ses tournures argotiques, qui s’accroupit par terre et mange avec la main. Mais Blanc quand même car en même temps qu’il y a beaucoup d’amour pour l’Inde il y a aussi des préjugés raciaux.
Enfin, les pérégrinations de Kim sont l’occasion de nous donner de belles descriptions des gens et des lieux :
« Par endroits les croisaient ou les rejoignaient des villages entiers, en toilettes de fête à l’occasion de quelque foire locale, les femmes avec leurs bébés sur la hanche, marchant derrière les hommes, les garçons plus âgés piaffant à cheval sur des cannes à sucre, traînant de petites locomotives grossièrement modelées en cuivre comme on en vend pour un sou, ou envoyant le soleil au visage de leurs aînés avec des miroirs de pacotille. On voyait, au premier coup d’oeil, ce que chacun avait acheté, et, s’il restait un doute, il suffisait d’observer les femmes qui comparaient, en tendant leurs bras bruns, les bracelets neufs de verre mat qui viennent du Nord-Ouest. Ceux-là, les gens de frairies, cheminaient sans hâte, s’interpellant, s’arrêtant pour barguigner avec des marchands de sucreries, ou expédier une prière à quelqu’un des sanctuaires du bord de la route -ceux-ci hindous, ceux-là musulmans- mais que les castes inférieures de l’une et l’autre religion partagent avec une louable impartialité. »
Markus Zusak, La voleuse de livres, Oh éditions
En 1939 Liesel Meminger, fille de communistes allemands est placée dans une famile d’accueil, à Mölching, près de Munich. Liesel a neuf ans, elle ne sait pas lire. Son père adoptif, Hans Hubermann, va le lui apprendre. Les livres qu’elle trouve, qu’elle vole, seront ses compagnons. Hans Hubermann est un brave homme qui cache un Juif dans sa cave. Celui-ci écrit des récits pour Liesel. Liesel a aussi un ami de son âge, Rudy Steiner. Avec lui elle fait les 400 coups dans la rue.
C’est une jeune fille de ma connaissance qui m’a prêté ce livre. Elle l’avait trouvé excellent. Elle attendait mon avis, je crois. Aussi je me suis sentie obligée de le lire jusqu’au bout. Mais quel pensum ! Dans d’autres circonstances j’aurais arrêté avant la fin. Ce livre est absolument desservi par son style. C’est la Mort la narratrice et quelle insupportable cabotine ! L’histoire est en permanence interrompue par des commentaires superflus, des apartés en direction du lecteur et qui cassent complètement le rythme. Ca m’a énervé dès la première page (que voilà – mise en page d’origine) :
MORT ET CHOCOLAT
D’abord les couleurs.
Ensuite les humains.
C’est comme ça que je vois les choses, d’habitude.
Ou que j’essaie, du moins.
UN DETAIL
Vous allez mourir.
En toute bonne foi, j’essaie d’aborder ce sujet avec entrain, même si la plupart des gens ont du mal à me croire, malgré mes protestations. Faites-moi confiance. Je peux vraiment être enjouée. Je peux être aimable. Affable. Agréable. Et nous n’en sommes qu’aux « A ». Mais ne me demandez pas d’être gentille. La gentillesse n’a rien à voir avec moi.
REACTION AU DETAIL
CI-DESSUS
Ca vous inquiète ?
Surtout, n’ayez pas peur.
Je suis quelqu’un de correct.
Une présentation s’impose.
Un début.
J’allais manquer à tous mes devoirs.
Je pourrais me présenter dans les règles, mais ce n’est pas vraiment nécessaire. Vous ferez bien assez tôt ma connaissance, (…)
Mais comme je le disais plus haut, tout le monde n’est pas du même avis que moi.
Camera kids, un film de Ross Kauffman et Zana Briski
Dans un quartier chaud de Calcutta, la photographe américaine Zana Briski enseigne la photo à un groupe de sept ou huit enfants d’une douzaine d’années, fils et filles de prostituées.
Dans cet excellent documentaire, plusieurs fois primé, nous les voyons photographiant leur quartier, leurs proches, leur vie. A côté de cela les filles sont déjà de vraies travailleuses : elles s’occupent des plus jeunes, font la vaisselle, sont de corvée d’eau.
Les logements sont de petits immeubles. A chaque étage une petite pièce par famille qui donne sur une galerie intérieure et une cour. Quand maman travaille, les enfants montent sur le toit. Dans la journée les femmes s’interpellent, se disputent, s’insultent d’un étage à l’autre. Il y a des pères mais on ne les entend pas, certains sont drogués au dernier degré.
Dans cet environnement les enfants sont prématurément mûris. Une fille annonce sur un ton grave et résigné : « Les autres femmes me demandent quand je vais les rejoindre. Elles disent que ça sera bientôt mon tour. »
Mais on les voit aussi joyeux et se comportant comme n’importe quels enfants à l’occasion d’une sortie à l’extérieur pour prendre des photos. Ils se gavent de friandises dans le car, ils reprennent en choeur les chansons qui passent à la radio et ils découvrent enfin la mer.
Bien sûr Zana Briski s’est attachée à ces enfants et a tenté de les arracher à leur sort, ce qui n’a pas été sans peine. Leurs photos ont été vendues aux enchères aux Etats-Unis pour financer des études en internat. A la fin du film on apprend que parmi ceux que leurs parents ont accepté de scolariser, trois vont encore à l’école. Les autres ont abandonné. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car Zana Briski a continué son travail formidable dans ce quartier. Le site du film donne un bilan plus positif deux ans après. Et Avijit qui disait : « Le mot espoir ne fait pas partie de mon avenir » est aujourd’hui étudiant aux Etats-Unis.
Diane Setterfield, Le treizième conte, Plon
Margaret Lea vend des livres anciens dans la librairie familiale. A ses heures perdues elle rédige aussi des biographies d’écrivains. Un jour elle reçoit une lettre de Vida Winter, romancière à succès, auteur de best-sellers, qui lui demande d’écrire sa biographie. Margaret se rend dans le Yorkshire, dans la grande propriété de Miss Winter. Petit à petit elle va découvrir la vérité de l’enfance tragique de Vida. En même temps ces récits vont l’obliger à affronter ses propres fantômes. Il est question de folie, d’enfants abandonnés et de soeurs jumelles séparées. Il est question de bibliothèques et de vieux livres, du plaisir de lire.
Je n’ai que moyennement apprécié Le treizième conte. Il y a plein de péripéties romanesques et je ne me suis pas ennuyée, j’ai même attendu certaines révélations avec impatience, et pourtant j’ai l’impression que je ne suis pas vraiment entrée dedans. Difficile à dire, ça tient peut-être à mon humeur du moment. Sur la fin, toutes ces happy end qui arrivent en même temps, c’était sympathique mais peut-être un peu trop. Ce que j’ai le mieux aimé c’est la description des jardins de la propriété de Miss Winter. Ca m’a rappelé Le jardin secret de Frances H. Burnett et redonné envie de le lire. Je crois que je vais bientôt m’y décider.
Taslima Nasreen, Enfance, au féminin, Le livre de poche
Dans ce récit Taslima Nasreen nous raconte son enfance entre la fin des années 60 et le début des années 70. Avant et après la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971 jusqu’en 1975, au moment de l’assassinat du président du pays, le cheikh Mujibur Rahman.
Taslima Nasreen grandit entre un père médecin, très autoritaire, qui entend que ses quatre enfants étudient et réussissent bien à l’école pour lui faire honneur et une mère qui se console des infidélités de son mari en se jetant à corps perdu dans la religion. Pour cette femme tombée sous la coupe d’un pîr (un saint homme) qui se conduit comme un chef de secte, les études ne servent qu’à attacher au monde périssable alors que le seul comportement raisonnable devrait être de préparer son passage dans l’au-delà par une pratique religieuse assidue. Entre les injonctions contradictoires de son père et de sa mère la jeune Nasreen cherche tous les espaces de liberté possibles, trouvant refuge dans la littérature et la poésie.
C’est une enfant introvertie et timide qui observe le monde qui l’entoure. Elle est prompte à relever les contradictions entre les paroles et les actes, particulièrement en ce qui concerne la religion. Elle repère rapidement les pratiques hypocrites, destinées avant tout à impressionner l’entourage. Elle interroge souvent sa mère à ce sujet ce qui lui vaut d’être qualifiée de démon et d’impie.
J’ai beaucoup apprécié ce récit. A travers son histoire Taslima Nasreen nous présente un panorama de la société bengalie d’il y a 35 ans.
C’est une société violente où les conflits se règlent par les coups. Les victimes en sont généralement les plus faibles : femmes, enfants, domestiques. Nasreen et ses frères et soeurs sont souvent battus par des parents qui les utilisent comme intermédiaires pour régler leurs différends. On entend parler de femmes tuées par leurs maris sans que ceux-ci semblent le moins du monde inquiétés.
C’est une société où les femmes sont soumises par l’islam et par les traditions régionales. Les mariages de fillettes sont arrangés alors qu’elles sont à l’école et le lendemain elles s’en vont vivre dans la famille de leur mari :
« Maman avait encore l’âge de jouer à la poupée quand on la maria à mon père, sans lui demander son avis. Au début, il lui arrivait d’insister auprès de son mari pour qu’il l’emmène à la fête foraine, faire des tours de manège, acheter des poupées, justement. Mais ces goûts enfantins durent bientôt lui passer lorsqu’elle se retrouva, vite fait, mère d’un petit garçon, tout en chair et en os. »
En fait, pour une jeune femme, le mariage est une union avec ses beaux-parents plutôt qu’avec son mari. C’est le beau-père qui choisit sa bru et qu’elle soit jeune permet à la belle-famille de terminer son éducation et de la façonner à sa guise. On voit ainsi la tante de l’auteur, jeune fille enjouée, devenir une dévote voilée après son mariage avec le fils du pîr.
Nasreen échappe au mariage précoce parce que son père veut qu’un de ses enfants soit médecin et que ses deux frères aînés ont échoué dans cette voie.
C’est une société encore pleine de superstitions et de croyances dans des forces mauvaises :
« Si une fille était mordue par un chien, la mère de Grand-mère, notre arrière-grand-mère maternelle, connaissait un médicament pour éviter que la victime ne tombe enceinte de chiots. On le préparait en introduisant dans une banane d’une qualité particulière quelque chose de mystérieux qui ressemblait à un piment rond. Pour assurer l’efficacité de ce médicament dont la fabrication demeurait secrète, il ne fallait pas manger une autre de ce genre de banane pendant trois mois. On était ainsi assuré de ne pas mettre bas une portée de chiots. On venait souvent demander à notre arrière-grand-mère de préparer cette concoction. »
L’imagination vive de Nasreen est fortement impressionnée par les histoires de fantômes et de djinns qu’elle entend et qui la font trembler de peur.
Le récit se termine en 1975 qui correspond pour l’auteur à l’époque de ses premières règles. J’aimerais beaucoup lire la suite de son autobiographie.