Ce roman nous raconte les histoires croisées d’Arthur Conan Doyle et de George Edalji. Le premier célèbre écrivain, le second malheureuse victime d’une erreur judiciaire, accusé à tort qui s’adresse à l’auteur de Sherlock Holmes pour lui demander de mener l’enquête.
Julian Barnes suit ses héros depuis leur enfance à la fin du 19° siècle jusqu’à la mort de Conan Doyle en 1930 en passant par les événements qui les ont réunis. Cela nous vaut une intéressante biographie d’Arthur qui apparaît comme un personnage fort sympathique. Médecin de formation , grand sportif, auteur, redresseur de torts et spirite convaincu à la fin de sa vie.
C’est le troisième livre que je lis récemment et qui parle de spiritisme. Il en était aussi question dans Southampton row de Anne Perry et dans Le chromosome de Calcutta de Amitav Gosh. Le spiritisme semble avoir été très à la mode en Angleterre à la fin du 19° siècle.
Arthur et George est un livre plaisant. Il y a de l’humour. Les personnages sont attachants et réfléchissent sur le monde qui les entoure.
Dans ce roman Nancy Huston nous montre comment un secret de famille empoisonne successivement plusieurs générations. Pour cela elle nous fait suivre, en remontant dans le temps, quatre enfants de la même famille à l’âge de six ans. Chacun d’eux est le narrateur d’une des quatre parties du livre.
Nous rencontrons d’abord Sol, petit garçon imbu de lui même. Viennent ensuite Randall, le père de Sol, Sadie la mère de Randall puis Erra la mère de Sadie. Mis à part Sol que nous ne croisons que comme enfant les autres personnages apparaissent d’abord comme adultes avant que nous ne les suivions à l’âge de six ans. Ainsi Randall intervient dans la première partie comme père de Sol puis dans la deuxième partie en protagoniste principal.
Pour les trois aînés six ans est l’âge-clef, le moment où le traumatisme familial (personnel pour Erra) les frappe et inscrit le malheur dans leurs existences. J’ai trouvé poignant le fait que l’auteur nous montre des adultes perturbés, incapable de s’occuper de leur propre enfant puis les enfants encore heureux dont sont sortis ces adultes. J’ai ressenti fortement le gâchis de ces existences. Le petit Sol est le personnage avec lequel j’ai le moins sympathisé car dès son plus jeune âge il apparaît comme froid, calculateur et dissimulateur. Il faut dire à sa décharge qu’il est manifestement issu de deux parents névrosés.
En remontant le temps et les générations on découvre petit à petit des éléments qui nous permettent de comprendre quel est le point de départ du drame familial lié à l’histoire de l’Allemagne nazie. C’est toute l’habileté de Nancy Huston de construire son histoire comme à l’envers, de nous mener lentement vers la source du mal. Ce n’est que dans les dernière pages du livre que tous les éléments se mettent enfin en place.
Dans un futur non daté Antar, employé à domicile du Conseil international de l’eau, retrouve la trace de son collègue Murugan, disparu à Calcutta en 1995. Murugan était parti en Inde pour y enquêter sur Ronald Ross, prix Nobel de médecine en 1902 pour ses découvertes sur la transmission de la malaria. Murugan est convaincu que ses découvertes ont été soufflées à Ross (sans qu’il s’en rende compte) par des individus désireux de garder l’anonymat mais souhaitant aussi que la recherche avance pour pouvoir en profiter dans une toute autre optique que celle de soigner le paludisme.
Dans ce roman nous suivons différents personnages qui enquêtent en des époques et des lieux divers sur des sujets différents. Au 19° siècle, en Inde, Ross recherche le vecteur du paludisme. En 1995, en Inde, Murugan essaie de trouver ceux qui ont aidé Ross. Et, dans le temps présent du roman, à New-York, Antar est à la poursuite de son collègue. Les chapitres emmènent le lecteur alternativement sur les traces de ces différents personnages, plus d’autres encore qu’ils rencontrent dans leurs quêtes.
Il s’agit d’une histoire fantastique avec un complot, des individus mystérieux prêts à tout pour défendre leur secret, un secret incroyable bien sur, après lequel court l’humanité entière. Hélas, malgré tout cela je n’ai pas trouvé la lecture aussi palpitante qu’elle aurait pu. Il y a du suspens vers la fin mais il aboutit à une conclusion qui m’a déçue. Pas de révélation fracassante et je ne suis pas sure d’avoir tout bien compris. Il reste de bons passages sur la recherche scientifique au 19° siècle pour ceux que l’histoire de la médecine intéresse (c’est mon cas).
A l’âge de cinq ans Dolores Loveall se tue en tombant d’un arbre. Son frère Geoffroy, de sept ans son aîné, est profondément traumatisé par cet accident. Dolores était son amour, il s’occupait d’elle comme s’il avait été son père plutôt que son frère. Il se sent responsable de sa mort. Geoffroy s’enferme dans la grande demeure familiale de Love Hall, ne sortant que rarement, passant ses journées devant la maison de poupées de Dolores, réplique de Love Hall et où sa soeur lui apparaît.
Vingt ans plus tard Geoffroy souffre toujours autant de la mort de sa soeur quand, à l’occasion d’une sortie, il trouve un bébé abandonné sur un tas d’ordures. C’est une révélation pour Geoffroy qui décide d’élever cet enfant comme sa fille. Il la prénomme Rose et épouse Anonyma, la bibliothécaire de Love Hall qui fut la jeune gouvernante de sa soeur, pour servir de mère à l’enfant.
La seule ombre à ce bonheur naissant c’est que Rose est en fait… un garçon ! Cet aspect des choses ne tourmente pas Geoffroy qui est tout simplement incapable de l’admettre. Pour diverses raisons son entourage décide de le suivre dans son aveuglement. Et Rose grandit en petite fille heureuse, entourée de l’amour de ses parents. Mais, alors qu’elle entre dans l’adolescence, le secret devient de plus en plus difficile à cacher. Elle-même se doute de quelque chose. La découverte par Rose de sa vraie nature la bouleversera et bouleversera sa famille.
L’histoire de Rose se déroule dans l’Angleterre victorienne. Elle pose la question de l’identité sexuelle : inné ? acquis ? Combien de temps avant qu’un enfant découvre sa différence si personne ne lui en dit rien ? Et comment vivre ensuite ? L’idée était bonne, la réalisation un peu moins (l’écriture n’a rien d’inoubliable). Le résultat m’a moyennement plu.
Un ouvrage très controversé et un gros pavé (900 pages). Je m’interrogeais un peu à son sujet. On me l’a prêté. Je l’ai lu et je ne l’ai pas regretté.
Le narrateur, Max Aue, est un Allemand, un nazi, un SS. Ayant réussi à changer d’identité à la fin de la guerre il a survécu à ses crimes et refait sa vie comme honnête industriel français. Plus tard il a éprouvé le besoin d’écrire ses souvenirs, d’abord pour lui, dit-il. Le roman est composé de ces souvenirs et des réflexions du narrateur sur ce qu’il a vécu. Car Max Aue est un intellectuel qui analyse la portée de ses actes, recherche le sens de la vie et se pose la question de la responsabilité. Dans la première partie du roman qui constitue une sorte d’introduction il s’adresse au lecteur : « Je suis coupable, vous ne l’êtes pas, c’est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d’une façon ou d’une autre. Je pense qu’il m’est permis de conclure comme un fait établi par l’histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu’on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l’exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou dans une époque ou non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais ou personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. mais gardez toujours cette pensée à l’esprit : vous avez peut-être eu plus de chance que moi mais vous n’êtes pas meilleur. »
C’est une question que je me suis déjà posée : qu’aurais-je fait dans les mêmes circonstances ? Il n’est pas sur que je me sois comportée en héroïne car je constate que dans des situations quotidiennes nettement moins dramatiques je manque parfois de courage. Aussi je me félicite de n’avoir pas connu ces temps troublés. Cependant je veux croire que d’autres choix personnels que ceux de Max Aue sont possibles. Car, malgré son insistance à affirmer le contraire, Max Aue n’est pas tout à fait M. Tout-le-monde. C’est un homme profondément perturbé, traumatisé par des épisodes douloureux de son enfance et jamais digérés qui remontent parfois en bouffées délirantes ou en crise de violence démente. Son père a quitté le domicile familial quand lui-même était encore petit. Il rend sa mère responsable de cet abandon et voit dans le Führer un substitut paternel.
Maintenant suivons un peu Max Aue dans sa descente aux enfers car sa carrière s’est déroulée dans tous les lieux où un SS pouvait jouer son rôle. Le premier poste auquel Aue est affecté est celui d’officier d’un einsatzgruppe en Ukraine. Les einsatzgruppen suivent l’armée allemande qui envahit l’URSS, massacrant derrière elle les populations juives. Aue est choqué par ce qui se passe là et par certaines scènes auxquelles il assiste. Cela le rend malade (il fait des cauchemards, il vomit) cependant il estime qu’il doit être là (alors qu’il aurait la possibilité de se faire muter ailleurs) car une fois qu’on a admis que ces mesures sont nécessaires (jamais il ne remet en cause le point de départ dévoyé, l’antisémitisme qui condamne les Juifs) on se doit d’y participer. Il se veut un homme responsable : « Si la valeur suprême c’est le Volk, le peuple auquel on appartient, et si la volonté de ce Volk s’incarne bien dans un chef, alors, en effet, Führerworte haben gesetzeskraft. Mais il était quand même vital de comprendre en soi-même la nécessité des ordres du Führer : si l’on s’y pliait par simple esprit prussien d’obéissance, par esprit de Knecht, sans les comprendre et sans les accepter, c’est-à-dire sans s’y soumettre, alors on n’était qu’un veau, un esclave et pas un homme. »
Il a aussi le sentiment qu’approcher la mort lui permettra de saisir le sens de la vie : « Même les boucheries démentielles de la Grande Guerre, qu’avaient vécues nos pères ou certains de nos officiers plus âgés, paraissaient presque propres et justes à côté de ce que nous avions amené au monde. Je trouvais cela extraordinaire. Il me semblait qu’il y avait là quelque chose de crucial, et que si je pouvais le comprendre alors je comprendrais tout et pourrais enfin me reposer. »
Après ce premier poste particulièrement éprouvant Aue est envoyé se refaire une santé en Crimée, au bord de la mer Noire. A la fin de sa convalescence il reste sur place comme agent d’information. Il est chargé de collecter des renseignements sur les nombreuses minorités ethniques du Caucase, leurs relations entre elles et au pouvoir soviétique. C’est dans le cadre de cette tâche qu’il rencontre le dr Voss avec qui il sympathise immédiatement. Le dr Voss est un linguiste spécialisé dans les peuples du Caucase. C’est l’occasion pour l’auteur de nous donner un exposé passionnant sur ces peuples et leurs langues. Sur un point Voss s’oppose à Aue : il sait que les races n’existent pas, il le lui dit et il le lui démontre (sans le convaincre). Pour lui l’anthropologie raciale est une pseudo-science et une fumisterie. Ces propos semblent faire de Voss un personnage plutôt sympathique cependant ce scientifique suit pas à pas l’avancée de l’armée allemande attendant avec impatience la prise de nouvelles villes soviétiques dont il pourra enfin exploiter les bibliothèques. Ici la guerre se met au service d’une science stérile, la connaissance des langues se fait en même temps qu’on massacre les peuples qui les parlent.
En décembre 1942, alors que l’armée allemande s’enlise devant Stalingrad, Max Aue participe à une conférence suréaliste. On a fait venir des spécialistes de Berlin pour décider du cas des Bergjuden un peuple juif local qui prétend s’être converti récemment au judaïsme (ainsi, si cela est prouvé, il ne sont pas de race juive et donc n’encourent pas le génocide). Je trouve que cet épisode montre bien le délire nazi : du temps est gaspillé à discuter du sort d’une poignée de paysans dont il est évident qu’ils représentent bien moins de danger pour le Reich allemand que la progression des troupes soviétiques. Malgré les voeux de ses chefs Aue est honnête et plaide pour la conversion des Bergjuden. Cette prise de position lui vaut d’être muté à Stalingrad.
A Stalingrad Max Aue assiste à l’agonie de l’armée allemande. Il est lui-même grièvement blessé, ne survivant que par miracle après que la balle d’un sniper lui a traversé le crâne. Après sa convalescence dont il a profité pour renouer avec sa mère de façon particulièrement violente, Aue est nommé à Berlin comme responsable d’un service chargé de gérer au mieux la main d’oeuvre captive du Reich. Autrement dit il doit prendre des mesures pour que les déportés arrivent dans le meilleur état possible dans les camps pour pouvoir travailler avant d’être exterminés. Aue s’attelle à cette tâche avec toute la conscience professionnelle qui le caractérise. Hélas pour lui il s’avère que la plupart des officiers SS sont des corrompus qui utilisent le système à leur avantage personnel. Au milieu de tout cela quelques « honnêtes » nazis tentent de lutter contre la prévarication. Ainsi à Lublin Aue rencontre un juge qui poursuit des chefs de camp pour crime : « Si un membre de la SS fait tuer un Juif dans le cadre des ordres supérieurs, c’est une chose; mais s’il fait tuer un Juif pour couvrir ses malversations, ou pour son plaisir perverti, comme cela arrive aussi, c’en est une autre, c’est un crime. Et cela même si le Juif devait mourir par ailleurs. » (N’est-on pas ici en pleine schizophrénie ?) « La distinction doit être malaisée à faire » répond Aue sans rire.
L’armée soviétique avançant toujours Max Aue est chargé d’encadrer une marche de la mort qui évacue le camp d’Auschwitz. Plus tard il se retrouve coincé derrière les lignes soviétiques et, avec deux autres hommes, il doit marcher plusieurs jours en se cachant afin de rejoindre leurs troupes. Ils traversent des hameaux dont la population a été massacrée par les Soviétiques. Ils rencontrent une troupe d’enfants sauvages. Enfin, en avril 1945, Aue est dans Berlin encerclée par les alliés, bombardée en permanence.
J’ai trouvé cet ouvrage passionnant. Alors, bien sur, ce n’est pas toujours plaisant à lire car le narrateur nous décrit tout des atrocités auxquelles il a participé. Par ailleurs on a aussi droit à ses turpitudes et fantasmes sexuels. C’est un homosexuel et il a une sexualité assez perturbée. Mais les atouts de ce roman sont qu’il est hyper-bien documenté et qu’il donne à réfléchir. On entre dans la tête du personnage et on découvre comment une idéologie perverse a pu mener un peuple au crime contre l’humanité en s’appuyant sur des blessures personnelles.
Un vieil homme se trouve dans une chambre. Qui est-il ? Il ne le sait pas lui-même. On lui donnera le nom de M. Blank (= blanc, vide). Que fait-il ici ? Est-il séquestré ou pourrait-il sortir ? La fenêtre est condamnée et la porte fermée. A clef ? Des personnes vont entrer dans la chambre, des visiteurs qui interrogent ses souvenirs, des soignants qui lui parlent d’un traitement qu’il aurait lui-même sollicité. Il doit prendre des cachets dont on lui dit qu’ils font de l’effet.
Dans la chambre il y a un bureau, sur le bureau des photographies et des manuscrits. Les photos sont celles de personnes que M. Blank a connues sans qu’il puisse dire de qui il s’agit. certaines de ces personnes semblent faire partie de ses visiteurs. Le manuscrit est le témoignage d’un homme en prison dans un pays qui ressemble aux Etats-Unis mais est cependant autre.
Au début j’ai trouvé la lecture de ce roman très déconcertante et l’atmosphère me donnait un sentiment de malaise. Qui sont ces gens ? Quel est leur lien avec M. Blank ? On comprend qu’il leur a fait du mal. Certains semblent lui en vouloir, d’autres pas. La quatrième de couverture (éviter de la lire si vous voulez conserver tout le suspens) donne un sérieux indice pour comprendre où Paul Auster veut en venir et pourtant il est arrivé à me faire douter pendant un bon moment.
Je pense que la lecture de Dans le scriptorium est plutôt à réserver à ceux qui connaissent déjà un peu l’oeuvre de Paul Auster du fait des nombreuses allusion qu’on y trouve à ses précédents romans. Ce n’est pas celle de ses oeuvres que j’ai préférée.
En 1991, à Los Angeles, Maximilen Ophuls, ancien héros de la résistance française, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Inde, chef des services américains de lutte anti-terroriste est assassiné devant chez sa fille India par son chauffeur qui répond au pseudonyme de Shalimar le clown. Shalimar est connu pour être un terroriste islamiste international aussi on pense d’abord à un crime politique. La réalité est en fait toute autre.
Pour la découvrir, Salman Rushdie nous emmène sur les traces de quatre personnages dont il nous raconte les histoires : Maximilien Ophuls, Shalimar, India et Boonyi, la femme qui fait le lien entre eux tous. Derrière eux nous voyageons jusqu’au nord de l’Inde, au Cachemire, où se croisent tous les fils de l’existence des protagonistes de ce roman.
Nous découvrons ce paradis terrestre sans précédent que, dit un personnage « nous avons décidé, afin de ne pas avoir l’air de nous vanter devant des étrangers, d’appeler Cachemire ! » où musulmans et hindous vivaient en paix, les musulmans priant des saints et les hindous mangeant de la viande. Salman Rushdie nous montre comment, petit à petit, tout cela a disparu après la partition. Le Cachemire se retrouve déchiré entre l’Inde et le Pakistan; l’armée indienne s’installe pour maintenir l’ordre; le terrorisme islamiste se développe, soutenu par les services secrets pakistanais, alimenté par la guérilla afghane financée par les Etats-Unis. L’engrenage de la violence touche chaque village et chaque famille et bientôt tous ont de bonnes raisons de vouloir se venger. Au besoin les ressentiments et les haines personnels servent d’excuse.
L’imagination du romancier se greffe sur des situations historiques et politiques réelles ce qui rend le tout très convainquant. Salman Rushdie manie l’ironie et l’humour, de plus en plus noir à mesure qu’on avance. J’ai beaucoup aimé ce livre. Je crois que je vais relire du Salman Rushdie prochainement.
Une histoire d’amour contrarié sur fond de révolte des cipayes. Winter de Ballesteros est née en Inde mais, orpheline de bonne heure, elle a ensuite été élevée en Grande-Bretagne, dans la famille de sa mère. Là, la seule affection qu’elle reçoit est celle de son arrière-grand-père. Le plus souvent elle est en butte à la jalousie et au mépris de sa tante et de sa cousine aussi elle se réfugie dans la nostalgie de son pays natal et elle rêve que quand elle sera enfin adulte elle pourra y retourner pour épouser Conway Barton, résident de Lunjore auquel elle est promise depuis l’âge de onze ans.
Quand Winter atteint 17 ans, son fiancé envoie son assistant, le capitaine Alex Randall pour la ramener en Inde. Hélas, quand elle y arrive son beau rêve s’écroule : Conway ne s’intéresse qu’à sa fortune, la vie dissolue qu’il mène depuis vingt ans en a fait un alcoolique bouffi et elle est amoureuse d’Alex Randall ! Comble de malchance nous sommes en 1857 et la révolte des cipayes se profile à l’horizon.
De cet épisode historique M. M. Kaye a choisi de nous montrer les aspects les plus tragiques. Elle met l’accent sur l’incapacité et l’aveuglement de nombre de dirigeants et officiers britanniques, surs de leur bon droit et de leur supériorité, persuadés que nul ne songerait à contester leur domination. Enfin elle nous fait trembler avec l’horreur des massacres de civils à l’arme blanche.
Cela se lit facilement et c’est palpitant mais c’est avant tout une histoire romantique où l’Inde et la révolte des cipayes apportent la touche exotique et pathétique.
La chambre des parfums, c’est la chambre du père de Tan, le narrateur. Une chambre dans laquelle chacun des cinq enfants de la famille s’est glissé clandestinement quand l’occasion s’en présentait pour y respirer des odeurs délicieuses. Eaux de toilette, lotion capillaire, after shave mais aussi graisse de fusil et plumes de perdrix car le père de famille est un chasseur passionné.
Le narrateur (il paraît que c’est largement autobiographique) se souvient donc de sa vie depuis son enfance jusqu’à la mort de ce père qui l’a tant marqué. J’ai particulièrement apprécié les trois premières parties qui évoquent l’enfance en Inde et les années d’étude aux Etats-Unis. Elles sont marquées par la nostalgie :
« Même aujourd’hui, quand j’évoque ce temps-là, mon pouls s’accélère, et la fadeur du quotidien se pare des merveilles du souvenir. »
Inderjit Badhwar fait bien ressentir la complicité et l’amitié qui peuvent se nouer entre les enfants d’une famille nombreuse qui ont grandi ensemble et partagé la même chambre. Etant moi-même issue d’une fratrie de cinq et ayant eu la même chambre que ma soeur cadette toute mon enfance j’ai retrouvé cette connivence qui m’a aidée à grandir. De long passages sont aussi consacrés aux parties de chasse en famille. Je dois dire que je me suis sentie moins concernée.
Dans les parties quatre et cinq le narrateur se souvient des années vécues aux Etats-Unis, en couple avec Serita, Indienne expatriée comme lui. Cette partie du livre m’a beaucoup moins convaincue. Ne pouvant pas chasser, Tan s’est mis à la pêche et a entraîné Serita avec lui dans cette activité ce qui donne lieu à une véritable leçon de pêche. Vous pouvez emmener le manuel avec vous, tout y est : « lignes monofilament de 4 à 5 kilos » et « hameçons montés sur crin quatre à huit », conseils pour faire des noeuds solides et technique pour ferrer, jusqu’au dépeçage de l’anguille. J’avoue, j’ai sauté des lignes. Enfin, dans la dernière partie, Tan boucle la boucle en retournant en Inde.
Le bilan est donc très mitigé. De bons passages, une écriture parfois touchante, le sens de la dérision mais aussi des lourdeurs.
En 1843, Lakshmi, rani de Jansi, devient veuve. Elle choisit alord d’assurer le gouvernement de ce petit état du nord de l’Inde en place de son fils adoptif Damodar, encore trop jeune. Mais les autorités anglaises qui gèrent le pays décident de la destituer et de gouverner directement Jansi et elle doit s’incliner.
En 1857 éclate la révolte des cipayes. Pour les Indiens c’est leur première guerre d’indépendance. Des souverains indiens spoliés de leurs trônes s’unissent contre le colonisateur. Ils reçoivent le soutien de cipayes, soldats indiens engagés du côté anglais. On vient en effet de distribuer à ces hommes de nouvelles cartouches dans lesquelles ils doivent mordre avant de les utiliser. Or le bruit court que ces cartouches contiennent de la graisse de porc, impure pour les musulmans et de vache, sacrée pour les hindous. Ces rumeurs (qui arrivent fort à propos) entraînent la révolte des cipayes.
A Jansi ou vit une petite communauté britannique, Lakshmi, contactée par les chefs rebelles, refuse d’abord de s’engager mais les circonstances vont peu à peu l’y contraindre. Quand les Anglais de Jansi sont massacrés malgré ses tentatives pour les sauver elle est désignée comme responsable et doit entrer dans la lutte pour empêcher des représailles sanglantes.
C’est cette histoire d’une femme luttant jusqu’au bout pour l’indépendance de son peuple que nous raconte Michel de Grèce. Son livre est écrit à la façon d’un roman avec description des lieux et des sentiments « comme si on y était ». Ce que j’ai à reprocher à ces descriptions c’est le style trop souvent cliché : un soldat à la fruste imagination, des espions à l’air inquiétant…
Mais à côté de cela Michel de Grèce a fait un bon travail de documentation sur un sujet sur lequel on aura un peu de mal à trouver des sources en Français. Il utilise notamment des lettres d’un soldat anglais, Roderick Briggs, qui a participé à la guerre contre la rani et dont il nous donne de longs passages, faisant de la troisième partie de son livre la plus intéressante à mon avis. Il montre bien les analyses différentes de la situation, du côté anglais et du côté indien et on comprend pourquoi, hélas, les Indiens ne pouvaient pas gagner.
Cet ouvrage est à lire, pourquoi pas, en parallèle du visionage du film The rising: ballad of Mangal Pandey, sur le même sujet. Un film de Ketan Mehta. Mangal Pandey (Aamir Khan dans le film) est un symbole, un des premiers cipayes à s’être révolté contre les Anglais. Il est présenté dans La femme sacrée :
« A Barackpur, près de Calcutta, un cipaye du 34° régiment d’infanterie indigène, nommé Mangal Pandé, était apparu un après-midi au milieu du cantonnement militaire dans un état d’excitation voisin de la folie, criant à ses camarades de se soulever contre les Anglais au nom de leur religion. Il avait abattu un sergent-major accouru pour l’arrêter et blessé deux officiers qui tentaient de le désarmer. Les cipayes, malgré les ordres, avaient refusé de porter la main sur ce brahmane de la plus haute caste. Le général Hearsey, commandant de la garnison, avait alors pris avec lui des soldats anglais et était arrivé à cheval au milieu du groupe de cipayes qui entouraient Mangal Pandé, toujours hurlant et levant ses mains rouges du sang anglais. Sur le point d’être arrêté, il avait retourné son arme contre lui-même et avait essayé de se tuer, ne réussissant qu’à se blesser. Les cipayes s’étaient alors dispersés. Mangal Pandé avait été traduit en cour martiale. »
Le film lui, présente Mangal Pandey comme un héros et non pas comme un forcené. Il raconte l’histoire de l’amitié entre Mangal Pandey et William Gordon, un officier britannique. Quand les cartouches incriminées arrivent au cantonnement Mangal est le seul à accepter de les utiliser, William lui ayant affirmé qu’elles ne contiennent pas de graisse animale. Il est convaincu ensuite du contraire et les deux hommes se retrouvent opposés. Mangal devient le leader de la révolte des cipayes de Barackpur.
La partie musicale du film est en partie assurée par un groupe de chanteurs ambulants qui se déplace à dos d’éléphant, rythmant la vie des habitants de Barackpur. les scènes de foule (kermesse du village, fête de holi) sont animées et colorées.